L’immigration d’Henri Kenfack au Canada a été difficile. Le jeune Camerounais est arrivé au Québec avec sa femme et leurs deux enfants de 4 et 2 ans dans le but d’améliorer leurs conditions de vie. Il était chef des services informatiques dans une entreprise de 2500 employés dans son pays d’origine et jouissait d’un bon statut social.
Henri Kenfack croyait que rien ne changerait, à ce chapitre, en venant s’établir au Canada. À sa grande déception, toutefois, il s’écoulera pas mal de temps avant qu’il puisse à nouveau exercer son métier au Québec. Cet analyste programmeur formé dans plusieurs langages informatiques a vite constaté, en effet, que la confiance des employeurs, à son arrivée ici, n’y était pas. «C’est comme si les gens d’ici croyaient qu’il y avait une Microsoft canadienne et une Microsoft africaine», dit-il en riant un peu de la chose avec le recul.
«Le Canada a un très fort marketing à l’international. C’est toujours le beau rêve et le rêve se vend très, très facilement, mais la réalité, quand on vient d’arriver, peut être très différente», dit-il.
Henri Kenfack et sa petite famille avaient évidemment des attentes en arrivant ici, en 2013. Malheureusement, «la qualité de vie qu’il avait grâce à son emploi au Cameroun a été beaucoup réduite au cours de ses premières années en sol canadien.
Lorsque la famille débarque à Montréal, c’est le choc. Déjà, la nature n’est pas la même ni la façon dont les gens parlent et fonctionnent. «C’est une adaptation presque en toutes choses», raconte-t-il.
Si ce n’avait été que de cela…
Il a été tout de suite confronté au défi presque impossible à relever du logement, n’ayant pas encore de dossier de crédit ici. «Personne ne veut te faire confiance», dit-il. «C’est difficile. C’est même discriminatoire. Tu te fais rejeter. Dès qu’on te voit, on ne veut même pas te parler», déplore-t-il. Le gouvernement, dit-il, devrait faire un effort supplémentaire à ce chapitre pour les nouveaux arrivants.
Fort heureusement, un ami les a hébergés temporairement.
Trouver du travail fut également très compliqué, se souvient-il. «Personne ne veut te faire confiance. C’était dur. Je commençais à me décourager. J’ai donc décidé d’élargir mes horizons en faisant un certificat en gestion des opérations et de la logistique aux HEC de Montréal. J’ai fait un certificat en un an pendant que je m’intégrais, pendant que je travaillais.»
Pour nourrir sa famille et payer ses factures, en effet, il prend tous les emplois où on l’accepte: monteur de palettes dans un magasin de grande surface, laveur de planchers, employé d’épicerie. Je n’ai jamais voulu d’aide sociale dans ma vie. Je voulais travailler», insiste-t-il.
Henri Kenfack n’entend toutefois pas rester dans ce mode longtemps. Même si les gens autour de lui, surtout des immigrants, lui déconseillent fortement de quitter Montréal, il découvre que «les régions ont du potentiel. On y respire. Il y a tous les magasins et tous les services.»
Trois-Rivières, pour une, était à 1h30 des autres grandes villes et en plus, il y avait une université où il pourrait suivre d’autres cours. C’est donc là qu’il partira avec sa famille.
Pour se loger, il répond à une petite annonce. Le propriétaire de l’édifice à logements se montre très ouvert envers lui, même si Henri Kenfack arrive à sa rencontre avec une épave de 600 $ rongée par la rouille et bonne pour la casse. Le proprio, qui s’appelle Marcel, lui offre sa chance et lui loue son plus bel appartement.
Henri Kenfack réussira beaucoup mieux son intégration à Trois-Rivières qu’à Montréal. Dès 2016, il est en effet en mesure de faire un offre à son propriétaire, Marcel, pour acheter tout son immeuble à logements. C’est qu’en trois ans, M. Kenfack avait réussi à trouver enfin des emplois dans son domaine et même à démarrer sa propre entreprise de consultation.
«C’est ma plus grande réalisation», dit-il, car aujourd’hui, c’est lui qui loue des appartements… à des Québécois. Il s’est même construit une maison bien à lui dans le secteur Pointe-du-Lac pour loger sa famille qui compte aujourd’hui quatre enfants.
En 2018, Henri Kenfack devient officiellement citoyen canadien. Il est entrepreneur à son compte, propriétaire immobilier et le voici qui s’enrôle dans la Réserve des Forces armées canadiennes où il continue de servir aujourd’hui. Cette implication dans la réserve lui donne du temps pour développer son entreprise. «J’aime ce que ça m’apporte surtout en termes de leadership», raconte celui qui estime être passé, grâce à cette formation difficile, à une version supérieure de lui-même.
Cet immigrant du Cameroun embauche aujourd’hui des Québécois dans son entreprise de consultation informatique, Manel inc., qui est basée à Trois-Rivières et spécialisée dans l’ingénierie logicielle.
Henri Kenfack est fier de lui et avec raison. Pour lui, c’est une histoire qui se répète, confie-t-il.
Quand il était enfant, en effet, son oncle lui avait fait un petit cadeau en argent, l’équivalent de 2 $, et lui avait dit d’aller le dépenser à sa guise.
Le jeune Henri s’est plutôt fixé comme objectif de faire fructifier ce montant tombé du ciel. Au grand dam de sa mère, il s’achète un lapereau.
Sa mère ne veut pas voir la petite créature dans la maison, mais le garçon a dans sa tête de faire grandir son animal, car pour l’équivalent de 25 sous, il pouvait le faire reproduire chez un éleveur et démarrer ainsi son propre élevage. C’est en cachette, avec des restes de table et des rognures de légumes, qu’il réussira à faire grandir et grossir son lapereau à l’insu de sa famille jusqu’au jour où il montre à sa mère le bel animal arrivé à maturité. Elle comprend alors que son fils a travaillé fort pour réussir cet exploit et elle lui construit un clapier pour y mettre son lapin et tous les autres qui suivront. Le lapereau a permis au jeune garçon de créer une micro-entreprise qui a finalement aidé le budget de toute la famille.
Ce coup du lapereau, il est en train de le refaire avec autant de détermination, mais à plus grande échelle, à Trois-Rivières, avec son entreprise de consultation informatique. «Ma priorité, c’est de développer ma région», dit-il, maintenant que le plus dur est passé pour lui, au Québec.
Source: Le Nouvelliste
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