« C’est du jamais vu », lance Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé (DCO).

L’officier explique notamment la situation par l’arrivée dans la métropole de quantités importantes de cocaïne qui ont transité par la région de Toronto.

Des informations nous laissent penser que les kilos de cocaïne ont de nouvelles routes ou des routes terrestres qui étaient auparavant moins utilisées. La drogue arrive dans des camions, par l’entremise de compagnies légales ou non, à Toronto. Toronto est le port d’entrée et il y a plus qu’une seule porte.

Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM

« On ne peut pas dire quelle quantité de drogue arrivait de Toronto avant, mais ce qui a changé, c’est que nos suspects se rendent beaucoup plus souvent là-bas. Nous aussi. Nous sommes en relation constante avec les policiers ontariens. On ne s’est jamais autant aidés », dit le commandant Renaud.

Un volume de « 20 kilos par jour »

« Les quantités que l’on saisit sont aussi plus importantes. Avant, une saisie de quelques dizaines de kilos, on en faisait une par année. Au printemps, on en a fait une par mois quand ce n’était pas une toutes les deux semaines », ajoute l’officier.

Les 173 kg saisis durant les six premiers mois de l’année l’ont effectivement été dans cinq dossiers d’enquête seulement.

La saisie la plus importante (43 kg) a été réalisée le 29 mai dans un immeuble de la rue Lennox, à Montréal.

Un homme, Jesse Wiseman, a été arrêté et accusé. Il est officiellement courtier en immobilier et sans antécédents judiciaires.

Lors de son enquête sur remise en liberté, un enquêteur, Mathieu-Olivier Couture, a raconté que Jesse Wiseman serait un homme de confiance d’Erasmo Crivello, décrit comme « un grand importateur de cocaïne indépendant, qui a des liens avec le crime organisé traditionnel italien (COTI) et qui, selon nos informations, est en mesure de fournir un volume de 20 kilos par jour ».

Les 43 paquets affichaient des logos différents, dont le profil caricaturé de l’ancien président américain Donald Trump.

En regardant bien, on peut remarquer le profil du visage et le nom de l’ex-président américain Donald Trump sur ce kilogramme de cocaïne saisi à la fin mai.

Dans le condo qui servait de cache de drogue, les policiers ont trouvé de la comptabilité dans une boîte de céréales Lucky Charms. Selon la lecture que l’enquêteur Couture a faite de cette comptabilité, au moins 300 kg auraient transité par ce condo et entre 10 et 20 kg auraient été écoulés chaque jour.

L’enquêteur a aussi fixé la valeur des 43 kg saisis en mai à au moins 10 millions une fois la drogue coupée et revendue dans la rue.

Le kilo à bas prix

L’enquête démontre que certains kilogrammes auraient été vendus au coût de 21 500 $, le prix le plus bas jamais vu à Montréal.

Mais le commandant Renaud croit que le prix actuel du kilogramme de cocaïne à Montréal se situe plutôt autour de 27 000 $, alors qu’en temps normal, il tourne autour de 50 000 $.

Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM

« Ça signifie qu’il y a beaucoup de cocaïne qui entre au Canada ou que le fournisseur en a trop. Les organisations internationales disent qu’au Pérou, durant la pandémie, les fournisseurs avaient de la difficulté à écouler leur marchandise, qu’ils se sont retrouvés avec d’importants inventaires, faisant ainsi baisser les prix. Plusieurs personnes se retrouvent en possession de bonnes quantités, se font compétition et les prix baissent », explique le commandant Francis Renaud.

Un rapport récent de l’ONU indique que la production de coca dans les pays producteurs a augmenté de 35 % en 2021 pendant que le nombre de consommateurs explosait durant la pandémie de COVID-19, en Amérique du Nord et en Europe.

Cocaïne 101

Voici, en général, de façon simplifiée et non exhaustive, comment se déroulent les principales étapes de l’importation, de la distribution et de la vente de cocaïne à Montréal en 2023.

Le parcours de la coke

Les principaux pays producteurs de cocaïne sont le Pérou, la Colombie et la Bolivie. Des organisations criminelles d’ici commandent des quantités à des fournisseurs de cocaïne ou des cartels et paient la drogue par des transferts internationaux ou d’autres modes. La drogue commandée arrive au Mexique par différents moyens. Principalement par voie terrestre, le moyen le plus utilisé par les trafiquants depuis quelques années, la drogue traverse ensuite le Mexique et les États-Unis et entre au Canada. Chaque fois que la cocaïne franchit une frontière, le prix du kilogramme double.

Des producteurs bien identifiés

En général, une grande partie des kilogrammes importés sont déjà placés ou vendus avant même leur arrivée au pays. Des organisations publient d’avance la marchandise offerte au moyen d’applications cryptées. Les kilogrammes ont été pressés dans le pays producteur et chacun arbore le logo du groupe ou du cartel fournisseur. Ces logos servent à identifier les fournisseurs, mais aussi les clients auxquels les kilogrammes sont destinés.

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Plusieurs des 43 kilogrammes saisis par les enquêteurs de l’Antigang du SPVM le 29 mai dernier affichaient la marque H2O.

Généralement, le pourcentage de pureté de la drogue est élevé. Chaque kilogramme est emballé sous vide dans une pellicule scellée, pour démontrer que la drogue n’a pas été manipulée. Il est ensuite recouvert d’une substance foncée destinée à masquer l’odeur. Les organisations qui reçoivent les kilogrammes doivent s’assurer de la marchandise reçue : logos, poids, etc. Des organisations se spécialisent toutefois dans la contrefaçon, en transformant les kilos et en trichant sur les logos. Ceux-ci sont vendus moins cher sur le marché.

Moins cher à Toronto

Depuis deux ans, beaucoup de trafiquants de Montréal s’approvisionnement à Toronto, où le prix du kilogramme serait inférieur de 3000 à 4000 $. Ils vont chercher la drogue en véhicule et l’apportent à Montréal. En attendant d’être vendus, les kilogrammes sont entreposés dans un appartement qui sert de cache. Souvent, l’endroit n’est ni meublé ni habité, et on peut y trouver de l’équipement pour traiter, couper et manipuler la drogue. La personne qui contrôle la cache n’a souvent pas d’antécédents judiciaires, pour ne pas éveiller les soupçons. Elle livre généralement les kilos de cocaïne dans des sacs et reçoit en échange des liasses de billets attachés par des élastiques de différentes couleurs représentant chacune une valeur, pour faciliter le comptage. Les liasses sont également emballées sous vide pour empêcher le vol.

Toujours moins pure

Une organisation qui n’est pas satisfaite de la qualité de la drogue peut la retourner pour qu’elle soit remplacée. Les premiers acheteurs des kilogrammes les revendent ensuite à d’autres. Les kilos deviennent ainsi des demi-kilos, puis des quarts de kilo, et enfin des onces. Une once de cocaïne (28 g) est de nouveau pressée et appelée puck. À ce stade, la cocaïne a été coupée plus d’une fois et peut être devenue pure à 20 %. On est au niveau des vendeurs de rue.

Pas d’inflation dans la rue

La cocaïne peut être vendue dans la rue dans des sachets d’un quart de gramme, d’un demi-gramme ou d’un gramme. Chaque sachet a une couleur différente. Une dose de cocaïne est censée être de 0,25 g, mais elle est souvent de 0,20 g. Elle est vendue 20 $. La cocaïne peut également être cristallisée sous forme de crack. Une roche de crack contient 0,1 g de cocaïne et est également vendue 20 $ dans la rue. Ces prix sont les mêmes depuis des années.

Esclaves des dettes

Chaque individu ou groupe qui possède les kilogrammes de cocaïne en devient responsable et se retrouve en dette envers l’organisation en cas de saisie policière. Durant son témoignage, l’enquêteur Mathieu-Olivier Couture a utilisé le terme « esclave » pour décrire une personne qui est en dette envers une organisation et qui est obligée de travailler pour elle, pour rembourser sa dette.

Source: La Presse