En 2022, selon la Banque mondiale, environ 630 milliards de dollars américains⁠1 seront transférés vers leurs pays d’origine par les membres des diasporas correspondantes établies ailleurs sur la planète.

Si cette estimation tient, ce cumul international aura bondi de plus de 30 %, uniquement depuis 2018. Au Canada, cette année-là, ces transferts d’argent totalisaient près de 25 milliards, soit plus de cinq fois plus que toute l’aide internationale versée par le Canada à l’étranger2.

En fait, en termes de flux financiers vers d’autres pays, le Canada se situe respectivement au troisième rang (en dollars) et au quatrième rang (en part du revenu national brut) mondial. En soi, il s’agit donc d’une activité économique substantielle et d’un grand impact. Et pour les pays qui sont des bénéficiaires nets de ces transferts, il s’agit souvent d’une part essentielle de leur PIB. En 2022, la Banque mondiale estime que 54 % de l’économie libanaise sera soutenue par des virements venus de l’étranger. Ailleurs, en Asie centrale et en Afrique subsaharienne notamment, ces proportions peuvent atteindre le quart du PIB, voire le tiers.

Bien sûr, l’essentiel de ces sommes est destiné aux familles et aux proches des personnes émigrantes, afin de bonifier leurs revenus et leur permettre de subvenir à leurs besoins personnels. Il s’agit néanmoins d’une forme de philanthropie, qui finance indirectement les services de santé, d’éducation ou encore de développement social et communautaire des pays récipiendaires. Selon de nombreux chercheurs, ces flux financiers continueront de croître de façon soutenue. Les nouvelles technologies rendent ces échanges beaucoup plus faciles et moins chers que par le passé, et le pouvoir d’achat des diasporas tend à augmenter avec le temps.

Terre d’accueil

Mais la générosité des personnes immigrantes se tourne également vers leur terre d’accueil. Un récent sondage réalisé par la firme Épisode démontre que les personnes immigrantes au Canada font des dons dans les mêmes proportions que les personnes non immigrantes, et que leur don annuel moyen est même plus élevé⁠3. Cette réalité est malheureusement méconnue.

En 2016, sur une population de plus de 34 millions de personnes, le Canada comptait plus de 14 millions d’immigrants de première ou de deuxième génération⁠4. Parmi eux, plus de 3 millions sont arrivés depuis l’an 2000. Au Québec et dans le Grand Montréal, qui accueille toujours la très vaste majorité des nouveaux arrivants, il y a près de 2 millions de personnes immigrantes, dont environ 500 000 qui sont établies chez nous depuis une vingtaine d’années ou moins.

Parmi ces personnes, dont beaucoup appartiennent à des communautés racisées, il y a des créateurs et des créatrices de richesse, des agents de changement, des entrepreneurs et des philanthropes. Elles ont en commun de vouloir redonner et contribuer, tant à leur communauté d’origine qu’à leur société d’accueil, mais elles ne sont pas rejointes par les institutions philanthropiques traditionnelles.

À la différence des contingents d’immigrants européens établis ici de plus longue date – pensons aux communautés juive, grecque, irlandaise ou italienne – qui ont bâti au fil du temps de nombreuses associations mariant la promotion de leurs identités et le développement de leurs communautés locales, les groupes d’immigrants plus récents font souvent face à des barrières, qui ralentissent le développement de leur philanthropie, en plus de la rendre invisible.

Ce sont aussi des communautés qui font face à des préjugés, ou que l’on préfère parfois ignorer. À l’heure où les discours sur l’équité, la diversité et l’inclusion prennent beaucoup de place, ne serait-il pas temps d’examiner plus attentivement et de mobiliser plus efficacement ce que toutes ces personnes ont à offrir ? Sinon, c’est toute la société qui y perd au change.

L’argent est là. La culture du don et la volonté d’aider aussi. Ce qui manque pour libérer tout ce potentiel et faire une différence ? Une posture ouverte et un discours qui valorise la contribution de toutes nos communautés, au-delà des clichés, ainsi que des espaces de rencontre et des mécanismes d’action collective qui vont enfin permettre de reconnaître et de canaliser ces élans philanthropiques.

À l’instar du reste de la société, la philanthropie doit devenir le reflet des collectivités plurielles qu’elle aspire à servir. Les « communautés culturelles », peu importe d’où elles viennent et depuis combien de temps elles sont établies ici, ont une immense capacité d’agir et leur propre contribution à apporter pour développer et renforcer notre société. Il est temps de le reconnaître, de prêter l’oreille, puis de tendre la main.

Source: La Presse