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Littérature. S’unir pour se libérer des violences coloniales

today23/04/2022

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Les uns ont été envahis, chassés, dépossédés et détruits. Les autres, exploités, violentés et réduits à l’état de bien. On peine encore, collectivement, à le regarder en face. Pour advenir, le projet colonial nord-américain a broyé les existences autochtones et noires, annihilant, dans la construction de son récit collectif, leur humanité.

« La modernité occidentale doit son existence à la production de l’abjection noire et à la production de l’absence autochtone », écrit Philippe Néméh-Nombré dans son essai Seize temps noirs pour apprendre à dire kuei, publié ces jours-ci chez Mémoire d’encrier. Y compris au Québec. « Le monde dans lequel on vit, à quoi tient-il au fond ? se questionne-t-il, joint au téléphone par Le Devoir. On habite des territoires qu’on peut occuper à cause de la colonisation, et une société bâtie sur l’esclavage. C’est essentiel de se poser ces questions si on souhaite envisager l’antiracisme. »

Ailleurs en Amérique, les réflexions sur les liens entre racisme noir et assimilation autochtone sont de plus en plus nombreuses. Dans la province, ces considérations n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. C’est notamment pour combler ces lacunes que l’essayiste et sociologiste en a fait le sujet de sa thèse de doctorat, et de cet essai, plus narratif et accessible.

« Je pense qu’il est nécessaire de bâtir à partir de ces liens, de s’en servir pour imaginer l’histoire et les possibilités de la rencontre des peuples au-delà de la violence coloniale, pour que les gens issus des communautés autochtones et noires aillent mieux, puissent avancer et se libérer des problèmes qu’ils vivent. »

Disséquer la violence

Seize temps noirs pour apprendre à dire kuei laisse envisager seize possibilités de rencontre à travers le récit de moments et de gestes effacés par la grande Histoire, et qui, pourtant, illustrent les proximités et les solidarités entre les nations noires et autochtones du Québec. Seize fragments, donc, puisés dans les archives, les expériences humaines ou la mythologie, qui se recoupent, se répètent, se font écho et s’entremêlent dans une danse qui porte à la fois les blessures du passé et du présent, et l’espoir pour cet ailleurs juste, égalitaire et fraternel.

La première partie repose sur la violence qui occupe l’existence et l’identité de ces deux peuples. On y croise, entre autres, l’expédition portugaise menée par le capitaine Antão Gonçalves en 1441, qui se conclut par la première capture d’esclaves par des Européens sur la terre africaine. Puis on monte à bord du navire portant Samuel de Champlain, premier pas vers le processus de fondation de la Nouvelle-France, et vers ses volontés d’exploitation et d’occupation possessive. On rencontre la frégate Duc de Bourbon, construite à Québec en 1715, de retour vers le Nouveau Monde avec, dans sa cale, 317 esclaves et la spatialisation de l’abjection noire. On se remémore Pierre Coriolan, un homme d’origine haïtienne aux prises avec des troubles de santé mentale, mort en 36 secondes sous les coups des policiers. Ou encore Sindy Ruperthouse, une Abitibiwinnik de Pikogan, vue pour la dernière fois le 23 avril 2014 à l’urgence de l’hôpital de Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, avec trois côtes cassées.

Dans ce grand chassé-croisé, chaque morceau peut se déplacer, se recomposer, s’attraper au vol, tardivementsans perdre de sa force et de sa richesse, rappelant les rythmes et les cohérences des improvisations jazz. « Je suis content que vous souleviez ça, répond Philippe Néméh-Nombré. J’écris à partir d’une posture noire. L’écriture de mon peuple est très liée à la musicalité. Je cherche effectivement à la convier, j’ai voulu utiliser les mots et la structure d’une manière qui s’entende, car je pense que c’est essentiel pour rendre le sens de l’expérience noire par le texte. »

Devenir avec et vers

La seconde partie de l’essai — dans cette veine mélodique — s’attarde sur le devenir « avec » et « vers », sur les perspectives et les accomplissements que l’union peut créer, en excès de la violence coloniale. On y plonge dans les mythologies, les traditions, les récits portés par les ancêtres, les crocodiles de Pagou, au Burkina Faso, la multiplicité des croyances vaudou, les racines qui lient l’humain au territoire.

« Pour cette section, j’ai commencé par retourner dans le village de mes ancêtres, au Burkina Faso. Si on veut entendre et accueillir l’histoire de la création autochtone — qu’on soit Québécois, descendant de Canadiens français, ou issu de l’immigration africaine —, il faut d’abord comprendre nos propres histoires, savoir d’où l’on vient et trouver ses repères. Je propose, pour moi, les crocodiles comme début de posture pour commencer à entrer en relation avec les savoirs ancestraux des Premiers Peuples. »

Dans ces savoirs, il trouve, comme il ne tient qu’à chacun de le faire, d’autres points communs, notamment du côté du territoire et de la protection de l’environnement. « Les perspectives noires ont une pensée écologique très différente de celle du monde colonial, et plus en symbiose avec celle des Autochtones. Parce que la liberté noire s’est réalisée à travers les esclaves en fuite, qui se sont retrouvés en forêt, et ont appris à percevoir l’environnement comme un ensemble de relations, plutôt que comme un puits à ressources. »

Ce point de rencontre, qui interpelle aussi de plus en plus la population québécoise, constitue un nœud fondamental dans la réflexion du chercheur, ainsi que dans la solidarité, les relations et le futur que nous pouvons envisager et construire, ensemble.

« Toutes nos histoires respectives sont une porte ouverte sur une nouvelle façon de nous raconter collectivement. Elles nous donnent des indices, des clés pour penser des choses qu’on n’a pas le choix de penser : un futur vers lequel on tend à moins d’inégalités, un rapport plus sain à l’environnement, une critique sévère et une destruction du capitalisme… le reste, improvisons-le ensemble. »

Anne-Frédérique Hébert-Dolbec
Le Devoir

Seize temps noirs pour apprendre à dire kuei
Philippe Néméh-Nombré, Mémoire d’encrier, Montréal, 2022, 122 pages

Written by: Léo NSÉKÉ

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